La Chronique Agora

Octobre 2018 : les Allemands contre le clown maléfique

Les Allemands et les Italiens vont droit au conflit en raison de l’euro. L’hostilité croissante de l’Allemagne a des justifications profondes, méconnues par les Européens du sud.

« Le clown maléfique italien. ».

C’est ainsi que le grand hebdomadaire allemand Der Spiegel a qualifié le Premier ministre italien Matteo Salvini la semaine dernière. L’image qui accompagne l’article n’est pas très flatteuse non plus.

Der Spiegel a également déniché un économiste grec prêt à reconnaître que « les Grecs ont compris que le gouvernement ne peut pas créer de l’argent par magie. »

Il aurait dû préciser « ne peuvent PLUS. » Selon les Grecs, ce sont les Allemands qui les empêchent de créer de l’argent par magie, comme ils avaient l’habitude de le faire.

Dévaluer la drachme était leur manière de résoudre leurs problèmes récurrents. Même chose pour l’Italie. Mais avec l’euro, il ne leur est plus possible de dévaluer. La responsabilité et les conséquences que cela entraîne sont nouvelles et déroutantes.

Selon notre économiste hellène, les Grecs ont compris que leur ancienne façon de faire était une erreur et se sont germanisés. Aujourd’hui, le gouvernement grec revient sur le marché pour emprunter. Le plus grand renflouement de l’histoire a fonctionné. Félicitations à l’UE, au FMI et aux Allemands.

Aujourd’hui, face à l’Italie qui fait toute une histoire à propos de son budget, les Allemands ont une preuve de la validité du concept pour enseigner aux Italiens la même leçon.

Le seul problème est que l’Italie est plus grande et, à mon avis, trop fière pour tolérer le traitement qui a été réservé aux Grecs. Le résultat sera différent.

Mais aujourd’hui, abordons le sujet du côté allemand. C’est peut-être là que le sort de l’euro va se décider.

Ce dont je ne m’étais pas rendu compte, c’est à quel point quelqu’un qui se souvient du début des années 2000 peut faire sienne la foi, justifiée, des Allemands dans l’austérité.

Je suis très inquiet lorsque je me réalise à quel point les Allemands doivent se sentir dans leur bon droit à propos de l’Europe du sud. Il se pourrait bien que ce soit les Allemands qui finissent par faire éclater l’euro. D’une manière très spécifique.

Comment ? De la même manière que l’union monétaire de l’Union Soviétique a pris fin. Lorsque les Allemands couperont indirectement les vivres, on retrouvera le système monétaire que nous avons eu lorsque le Serpent monétaire européen s’est effondré dans les années 1970.

Autrement dit, rien de nouveau sous le soleil. Ce que j’affirme là n’est donc pas farfelu. En fait, je considère cela comme inévitable. La seule question est de savoir comment arrivera la fin de l’euro.

Examinons les raisons pour lesquelles la patience allemande s’amenuise et n’ira pas plus loin que la prochaine crise de l’euro – qui débutera en octobre, si elle ne l’a déjà fait par contagion de la Turquie et du fait du drame politique autour de l’effondrement du pont de Gênes.

La première crise de la Zone euro a eu lieu en Allemagne, pas en Grèce

En 2004, la Commission européenne a ordonné à l’Etat allemand de payer une amende de plus de 3 Mds€.

L’argument était que, parce que beaucoup de banques publiques allemandes bénéficiaient de la caution de l’Etat, elles étaient effectivement subventionnées. Elles pouvaient emprunter à des taux artificiellement bas grâce au renflouement explicite de l’Etat. Comme Fannie Mae et Freddie Mac aux Etats-Unis.

Selon les règles de l’UE, garantir une banque c’est lui donner un avantage inéquitable. Les banques allemandes ont donc dû payer des amendes équivalentes à la valeur des subventions reçues – plus les intérêts (c’était l’époque où il y en avait encore).

Incapable de continuer sans le soutien de l’Etat allemand, la banque publique de mon Etat natal finit par fermer ses portes en 2012. Elle était alors la plus grande banque publique du pays.

A peine quelques mois plus tard, les contribuables allemands renflouaient les banques grecques selon les plans de la Commission européenne…

Comme l’a écrit Hans-Werner Sinn :

« Les contribuables de Rhénanie du Nord-Westphalie ne sont pas autorisés à renflouer leur propre banque publique mais sont obligés de participer au renflouement de banques dans d’autres pays de l’euro. »
Vous pouvez imaginer que la pilule a eu du mal à passer en Allemagne.

De manière assez étrange, les Grecs ont vu le renflouement de leurs banques comme une manière pour les Allemands de sauver les banques allemandes qui avaient prêté de l’argent à la Grèce. Pour eux, le renflouement de la Grèce a été un tour de passe-passe qui n’a pas bénéficié aux Grecs. Autant dire que cela a profondément énervé les Allemands.

Si les Allemands avaient simplement voulu renflouer leurs propres banques, ils auraient pu le faire directement – et laisser les Grecs à leurs défauts et à leur crise, cela aurait été terrible pour la Grèce. Le gouvernement grec aurait été incapable d’emprunter et obligé d’équilibrer son budget immédiatement.

Au lieu de cela, l’argent allemand a d’abord été en Grèce, ce qui a permis au pays de continuer d’emprunter et lui a donné du temps pour se réformer.

En retour, les Grecs ont accusé les Allemands de mensonge et d’égoïsme…

La violence de la réaction grecque est symptomatique de la façon dont les Européens du sud considèrent la Zone euro et l’Allemagne : comme une vache à lait qui les sauvera de leurs propres largesses – et ils ont raison.

Encore plus remarquable est le fait qu’on a demandé aux ménages allemands de renflouer le reste de l’Europe, même s’ils sont bien moins riches que les ménages d’autres pays.

En 2012, les Allemands ont enregistré le plus faible patrimoine net médian des ménages parmi les 15 membres de la Zone euro pour lesquels les données étaient disponibles lorsque l’Institut Peterson les a comparés.

 

Source: Peterson Institute

Zone euro/ Allemagne/ Slovaquie/ Portugal/ Autriche/ Finlande/ Slovénie/ Grèce/ Pays-Bas/ France/ Italie/ Espagne/ Belgique/ Malte/ Chypre/ Luxembourg

 

L’Allemagne, généralement considérée comme le pays le plus riche d’Europe et la plus importante source de fonds de renflouement provenant de l’argent des contribuables, a enregistré le plus faible patrimoine net médian des ménages parmi les 15 membres de la Zone euro pour lesquels les données sont disponibles, avec seulement 51 400 €. C’est moins que la moitié de la richesse moyenne médiane nette des ménages dans la Zone euro, à 109 200 €.

 

Obliger les électeurs les moins riches de la Zone euro à renflouer les autres pays ? Hmmm…

La raison pour laquelle les ménages allemands ne sont pas aussi riches est très compréhensible. Les taux d’accession à la propriété sont beaucoup plus faibles en Allemagne et la bulle immobilière des années 2000 n’a jamais atteint le pays.

Aujourd’hui, ces données sont en train de changer vu qu’une bulle immobilière se forme en Allemagne en raison des taux trop bas de la Banque centrale européenne. Mais en voyant où cela a mené l’Irlande et l’Espagne après l’explosion de leur bulle, les Allemands ne s’en réjouissent pas trop. Et du fait d’un faible taux d’accession à la propriété, seuls certains en bénéficient.

 

 

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